L'orgueil
1. Sa nature et sa gravité
L'orgueil est le chef tyrannique des
principaux vices, c'est-à-dire de ces vices d'où en
découlent une multitude d'autres. Parmi les péchés
capitaux, l'orgueil est le plus capital, ou si l'on veut, le plus
fondamental. Les Pères de l'Église
voient dans l'orgueil l'origine de tout péché, la racine
de tout mal, "la mère nourricière et la reine de tous les
vices" (Saint Grégoire le Grand).
Saint Thomas d'Aquin définit
l'orgueil comme une estime exagérée de soi-même,
qui s'accompagne de mépris pour les autres. Dans la mesure
où l'on s'élève au-dessus d'un autre, on tend
à l'abaisser, du moins dans l'opinion qu'on
en a. Le mouvement propre à l'orgueil a quelque chose
d'insensé, car il est insatiable dans sa recherche de grandeur :
il ne lui suffit pas de s'élever au-dessus des autres et de les
mépriser, il cherche à s'élever au-dessus de Dieu
lui-même, à
mépriser Dieu.
L'orgueil est en réalité
le péché propre de Lucifer qui, n'acceptant pas sa
condition de créature, a voulu se faire l'égal de Dieu.
Tombant dans la folie de l'orgueil, Lucifer a déclaré la
guerre à Dieu. C'est dans cette folie
de Lucifer que se trouve l'origine première de toutes les
guerres, de toutes les révoltes, de toutes les haines, de tous
les désordres.
C'est pourquoi, comme le dit saint Jean
Chrysostome, "l'orgueil est la plus grave de toutes les maladies
spirituelles et la plus nuisible" (Commentaire sur saint Jean, 26.4).
S'il n'y a pas de maladie spirituelle plus grave que l'orgueil, il ne
fait pas de doute, comme l'a remarqué
sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, après les
Pères, qu'aucun autre péché n'est plus grave et
plus détestable aux yeux de Dieu. Comme rien ne compromet autant
la santé spirituelle et le bonheur éternel de l'homme que
l'orgueil, une
thérapie spirituelle intensive, fondée à la fois
sur la lumière de la foi et celle de la raison, s'avère
absolument nécessaire pour en guérir.
2. L'origine de l'orgueil en ce monde
La Bible nous apprend que Satan, jaloux
du bonheur de nos premiers parents, s'est approché d'eux dans le
paradis terrestre, dans le but hypocrite de les détourner de
Dieu, en faisant miroiter à leurs yeux la possibilité de
devenir comme Dieu, s'ils consentaient
à manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. En
les trompant, il réussit à les entraîner dans sa
révolte orgueilleuse. C'est ainsi par l'orgueil que la
désobéissance à Dieu est entrée dans le
monde, et avec elle tous les
désordres et tous les maux. Parce que le péché
comporte toujours une opposition volontaire à la volonté
de Dieu, une préférence de sa volonté propre
à celle de Dieu, un acte d'orgueil est présent en tout
péché.
3. La maladie de l'orgueil dans
l'âme, ses profondes racines
Il faut distinguer entre l'orgueil qui
se manifeste dans les actes extérieurs, devenant donc visible
dans le comportement, et l'orgueil foncier, invisible, qui fait partie
pour ainsi dire de nous-mêmes, parce qu'il nous habite plus ou
moins.
Dans la mesure que nous ne reconnaissons
pas spontanément la vérité au sujet de
nous-mêmes, au sujet de nos défauts, de nos erreurs, de
nos torts, dans la mesure où nous essayons de projeter de
nous-mêmes une belle image, qui ne correspond
pas à la réalité, et cela souvent au
détriment des autres, nos âmes sont malades de la terrible
maladie de l'orgueil.
C'est seulement dans la lumière
de Dieu, et dans celle de son Fils bien-aimé Jésus, qu'il
est possible de reconnaître la vérité au sujet de
nous-mêmes. Qui sommes-nous devant Dieu, et que sommes-nous? Par
nous-mêmes, nous ne sommes
rien. Tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est don gratuit
de la bonté infinie de Dieu. Reconnaître que nous devons
absolument tout à Dieu, qui nous a tout donné, et qui
nous donne sans cesse tout gratuitement est le fondement de
l'humilité. C'est ce que saint
Paul rappelait aux Corinthiens: «Qu'as-tu que tu n'aies
reçu ? Et si tu l'as reçu, pourquoi te vanter comme si tu
ne l'avais pas reçu?» L'orgueil s'enracine dans
l'ingratitude, qui suppose elle-même une perte de conscience de
ce que nous sommes réellement, l'oubli de notre
condition de créatures. La reconnaissance, qui s'appuie sur une
vive conscience de la gratuité de l'amour infini de Dieu
à notre égard, alimente ce qui devrait être en nous
la première et la plus constante de toutes nos pensées,
le premier et le plus constant
de tous nos sentiments : l'adoration. Car l'adoration consiste à
reconnaître Dieu pour ce qu'il est : le souverain Seigneur et le
maître absolu de toutes choses. L'adoration nous met à
notre vraie place devant Dieu, celle d'un être créé
par sa bonté
infinie à son image et à sa ressemblance, et qui
dépend radicalement de lui à chaque instant, et qui ne
peut aussi trouver sa perfection qu'en demeurant dans la soumission
à sa volonté. L'adoration en esprit et en
vérité s'exprime dans une disposition
permanente d'obéissance d'amour à l'égard de Dieu.
L'orgueil, fondé sur l'ingratitude envers Dieu, au lieu de
l'adorer le méprise, c'est-à-dire méprise sa
sainte volonté, et jette l'âme dans la
désobéissance à son
égard.
L'orgueil a causé un mal
indicible à nos premiers parents, en les incitant à
désobéir à Dieu, à prétendre
atteindre le bonheur en s'opposant à sa volonté. Ils ont
choisi librement en croyant librement à celui
qui est menteur depuis le commencement de ne pas adorer Dieu, de
ne pas le reconnaître comme Dieu. Lorsque nous offensons Dieu par
le péché, nous choisissons nous aussi librement de ne pas
adorer Dieu, de ne pas le reconnaître comme Dieu, de
préférer notre
volonté à la sienne, en vertu du même type
d'orgueil qui a conduit nos premiers parents à se rebeller
contre l'ordre voulu de Dieu.
Plus l'habitude de
désobéir à Dieu est grande dans une âme,
plus profonde y est la maladie de l'orgueil. L'âme orgueilleuse,
dans la mesure même de ses désobéissances à
Dieu, ne voit plus clair; elle devient incapable de
discerner en elle ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bien
et ce qui est mal, parce qu'elle est enveloppée de
ténèbres.
4. Les symptômes de la maladie de
l'orgeuil
Si la maladie de l'orgueil s'origine
dans les relations de l'âme avec Dieu, c'est dans ses rapports
avec le prochain que cette maladie se manifeste le plus clairement. En
effet, une âme peut être très orgueilleuse et en
même temps avoir une certaine
piété extérieure. Sans trop s'en rendre compte,
elle se comporte vis-a-vis de Dieu comme quelqu'un qui a des droits sur
lui; elle trépigne d'impatience si ses prières ne sont
pas exaucées comme elle l'entend. Dans l'épreuve elle se
décourage. Si
l'épreuve devient plus cuisante, plus humiliante, la
révolte monte en elle. Inconsciemment sans aucun doute, elle met
en question l'amour de Dieu à son égard et même sa
justice. "Dieu me rejette. Dieu m'abandonne. Dieu ne m'aime pas. Je
n'ai rien fait à Dieu pour
qu'il me traite ainsi; il n'est pas juste envers moi", entend-on
parfois. Les mêmes âmes qui exhalent ces plaintes
amères se livrent souvent à des dévotions de
surérogation qui ne servent qu'à leur voiler davantage
leur orgueil foncier, tant il est vrai que
l'orgueil jette d'épaisses ténèbres dans
l'âme.
Dans les rapports avec le prochain il ne
peut en être tout à fait ainsi. Car l'orgueil va se
manifester par un détestable esprit de domination, de
vantardise, d'obstination, de contradiction et d'arrogance.
L'orgueilleux, bien qu'il soit capable
de prendre des airs modestes, est convaincu de sa
supériorité dans un domaine ou dans l'autre, et il entend
bien que cette supériorité soit reconnue. Il est
porté à se mettre en valeur, à se vanter,
à tirer gloire de son avoir, de son savoir et de son pouvoir. Il
recherche l'approbation, les félicitations, les honneurs. Il a
aussi, dans sa pensée, toujours ou presque toujours raison ;
voilà pourquoi il n'accepte pas facilement une remarque qu'il
prendra comme un manque
d'égard ou une incompréhension. Il est habituellement si
sûr de lui-même qu'il ne lui vient pas à
l'idée qu'il puisse en telle ou telle circonstance
se tromper gravement. Il s'obstine dans ses idées et son
vouloir, dût-il avoir comme adversaires de
ses positions des personnes beaucoup plus compétentes et
beaucoup plus sages que lui. Il lui est extrêmement difficile de
s'incliner devant l'autorité et la vertu des autres, de louer
leurs bonnes actions. Il n'aime pas la bonne réputation des
autres, cherchant et trouvant
toujours quelques motifs pour les critiquer. Dans les relations avec
les autres, il impose ses idées, ses façons de faire
comme étant les meilleures et devant être adoptées
; il contrôle tout. Et ce contrôle est néfaste,
parce qu'il empêche les
autres de prendre leurs responsabilités et de
s'épanouïr, que ce soit à l'intérieur de la
famille ou des milieux de travail. Les enfants, certes, doivent
apprendre à obéir, et donc à être humbles.
Mais les parents doivent former leurs enfants au
sens des responsabilités et ne pas les empêcher de se
développer en faisant tout à leur place. L'orgueil, qui
ne sait pas faire confiance à un inférieur, éteint
en lui tout esprit d'initiative; il agit en ennemi de la liberté
et de l'autonomie
d'autrui.
Il n'est pas rare qu'en plus d'un
détestable esprit de domination et d'entêtement, le
signalement extérieur de la maladie de l'orgueil soit un esprit
de contradiction qui peut aller jusqu'à être
systématique. Il suffit alors que l'un dise blanc pour
que l'orgueilleux dise noir. C'est ainsi qu'il affirme sa
"supériorité" par des avis qui n'admettent aucune
discussion On n'est pas loin alors de la véritable maladie
mentale. Parce que l'esprit de contradiction rend les relations
humaines très désagréables et
quasiment impossibles, on peut comprendre que la personne qui en
souffre tende à se réfugier dans un triste isolement.
5. L'orgueil et les maladies mentales
L'orgueil prédispose aux maladies
mentales. Les perfectionnistes sont en réalité des
personnes très orgueilleuses. Elles pensent que pour avoir
l'estime ou l'amour de leur entourage elles doivent être
parfaites; elles recherchent donc d'une façon
excessive la perfection en toute chose. Cette recherche excessive de la
perfection les projette dans un monde irréel, où elles ne
considèrent avoir de la valeur que si elles atteignent la
première place. Si le succès qu'elles rencontrent n'est
pas à la hauteur de
leur idéal de perfection, elles sont insatisfaites
d'elles-mêmes, elles ne s'aiment pas et ne se sentent pas
aimées. La raison en est qu'elles cultivent une image grandiose
d'elles-mêmes. Comme l'orgueil les amène constamment
à se mesurer à un idéal
impossible à atteindre, les échecs inévitables de
leurs attentes les entretiennent dans une très forte
anxiété, qui débouche insensiblement sur la
dépression ou dans certains cas sur la psychose paranoiaque.
C'est ainsi que, sans être de soi une
maladie mentale, le perfectionnisme, qui s'enracine dans l'orgueil,
évolue vers la maladie mentale.
Concernant précisément le
lien entre l'orgueil et la paranoia, le Larousse médical nous donne
les informations suivantes :
Les paranoiaques se distinguent par
quatre caractères fondamentaux : la surestimation de soi, la
méfiance, la psychorigidité et l'insociabilité. La
surestimation de soi correspond à un orgueil qui va de la
suffisance à la mégalomanie. La
méfiance, la peur d'ëtre dupe, la susceptibilité,
l'excessive sensibilité aux critiques font que le malade se
croit mésestimé ou bafoué et qu'il passe son temps
à revendiquer. La psychorigidité tient au culte de la
logique purement formelle et
sans nuances. Le malade aime la justice pour la justice, d'où
son goût pour les procès. Ses principes moraux sont
également rigides, mais davantage pour autrui que pour
lui-même. L'obstination acharnée, le fanatisme et
l'autodidactisme sont fréquents.
L'insociabilité résulte des traits
précédents : des brouilles successives avec l'entourage
finissent par isoler le paranoiaque. Il se déclare trop souvent
déçu et blessé dans ses relations sociales pour
que des incidents parfois graves
n'éclatent pas... Enfin, le paranoiaque a souvent une forte
agressivité, qu'il attribue à autrui. Cet ensemble
psychologique dépend d'un jugement faussé par l'orgueil.
Le paranoiaque juge mal, car il tire de faits exacts des conclusions
erronées. Il
interprète sans cesse et se trouve souvent au bord du
délire de persécution ou de revendication vers lequel
d'ailleurs l'évolution peut se faire.
On voit immédiatement que le
traitement de certaines maladies mentales ne peut pas reposer que sur
des remèdes chimiques. Les neuroleptiques peuvent, certes, en
freiner les crises et en réduire les effets psychologiques mais
demeurent impuissants à en
guérir les causes les plus profondes. En autant que l'orgueuil
est concerné, la culture de l'humilité chrétienne
sera sûrement un facteur important d'un meilleur équilibre
mental. On conçoit mal qu'une personne vraiment humble soit en
même temps
paranoiaque.
6. Les diverses formes de l'orgueil et
leurs enfants
L'orgueil s'exprime de bien des
manières. Ainsi, la vanité se complaît dans des
avantages vrais ou prétendus. La vantardise fait valoir son
mérite et ses bonnes actions, et aime à faire ressortir
ce qui la flatte. La présomption fait
entreprendre avec témérité des choses au-dessus de
ses forces et porte à se trop confier dans ses propres moyens.
L'opiniâtreté s'attache tellement à son propre
sentiment qu'elle ne veut point se rendre à des opinions
raisonnables et consciencieuses
exprimées par les autres. La hauteur regarde et traite le
prochain d'une manière impérieuse, d'un air
dédaigneux et avec un ton méprisant. L'ambition aspire
à se distinguer des autres, à obtenir des honneurs, des
dignités. Le faste aime à se
faire remarquer par la richesse et la beauté des vêtements
et des ameublements, le luxe des voitures. L'hypocrisie cherche
à s'attirer l'estime des hommes, en faisant paraître des
vertus qu'on ne possède pas réellement.
En tant que vice capital, l'orgueil
donne naissance aux principaux vices qui, eux-mêmes, ont chacun
une progéniture exécrable, de sorte qu'en
réalité tous les vices y ont leur source commune. Selon
saint Grégoire le Grand, les enfants nés de
l'orgueil s'appellent la vaine gloire, la jalousie, la colère,
la tristesse, l'avarice, la gloutonnerie, la luxure (S. Grég.
Mor., 31,87). Chez d'autres Pères, le lien de filiation des
vices par rapport à l'orgueil est un peu différent mais
l'orgueil en demeure toujours le
facteur commun. Quel que soit l'ordre adopté, il n'est pas
difficile de voir le lien évident qu'il y a, par exemple, entre
l'orgueil et l'ambition, la présomption, le désespoir, le
mensonge, la colère, la rancune, la haine.
L'ambition, qui désire toujours
plus de richesses, d'honneurs, de gloire, est animée par
l'orgueil, dont l'appétit des grandeurs est insatiable. Le lien
de la présomption à l'orgueil est aussi très
facile à percevoir. L'orgueilleux
présume de qualités et de forces qu'il n'a pas ; aussi
s'engage-t-il dans des entreprises qui dépassent ses
capacités. Par ailleurs, les échecs et les
épreuves conduisent l'orgueilleux au désespoir, parce
que, s'appuyant sur lui-même, il se ferme au
monde de la grâce. Pour continuer à espérer lorsque
tout va mal, est absolument requise l'humilité du coeur. Sans
l'humilité, il est impossible d'avoir confiance en Dieu.
Quant au mensonge, l'orgueilleux ne fait
pas qu'y recourir pour voiler ses erreurs, pour soigner son image, pour
se mettre en valeur, il vit dans le mensonge. L'orgueil lui-même
est tout entier mensonge ; c'est une maladie qui empêche
l'âme d'être simple et vraie
devant Dieu et devant les hommes. La colère sort
également du coeur et de la bouche de l'orgueilleux. Car il
n'accepte pas l'opposition qui le mettrait en question ; sa
supériorité contestée, il est prêt à
la défendre avec force. Son orgueil
blessé le pousse à de l'agressivité, à de
la violence verbale et peut-être même physique. Pour
impressionner les autres, l'orgueilleux parle fort et agit brusquement,
sans délicatesse. Par sa colère, il fait sentir son
importance et impose silence
à ses interlocuteurs. L'orgueilleux est aussi rancunier ; il ne
pardonne pas les offenses. Car le pardon, qu'il faut accorder aux
autres si l'on veut être pardonné, exige
l'humilité. La grande raison pour laquelle on se refuse au
pardon est et ne peut être que l'orgueil.
L'orgueil est le premier responsable de
la haine envers Dieu et de la haine envers les hommes, les
prétentions de l'orgueil dressant l'âme contre Dieu et le
prochain. L'âme orgueilleuse ne voulant pas se soumettre à
Dieu ne peut que s'en détourner, et
cette aversion de Dieu s'identifie avec la haine. L'orgueilleux n'aime
pas davantage son prochain, car on ne peut aimer son prochain en se
préférant à lui et en le méprisant, ne
fût-ce qu'intérieure-ment. Toute haine prend donc sa
source dans l'orgueil. Pour aimer
vraiment Dieu et le prochain, il faut devenir humble. L'humilité
est la source de l'amour, en ce qu'elle rend l'âme capable
d'aimer. Et plus une âme sera humble, comme on le voit dans la
petite Thérèse de l'Enfant-Jésus, plus elle sera
capable d'aimer, de sorte qu'il
n'existe pas de différence entre les degrés de
l'humilité et les degrés de la charité. Saint
Benoît parle de douze degrés d'humilité, qui sont
autant d'échelons dans l'échelle de la charité
parfaite. Saint Ignace de Loyola
résume les étapes de l'humilité en trois
degrés, le dernier étant cet amour plus grand de
Jésus-Christ, qui cherche à l'imiter parfaitement.
7. Les Remèdes à l'Orgueil
L'orgueil qui invertit l'ordre
établi par Dieu, qui nous a créés pour l'aimer et
le servir et nous mettre entièrement au service de notre
prochain, est extrêmement difficile à corriger. Si bien
que certains moralistes le considèrent comme
ordinairement incorrigible. La raison en est que l'orgueilleux ne veut
pas avouer qu'il a tort ; ainsi, toute correction le met en
colère. Il ressemble à une personne tourmentée
d'un abscès douloureux; on ne saurait toucher son mal du bout
d'un doigt sans provoquer des cris de
douleur.
Le premier pas à faire pour
guérir de l'orgueil sera de prendre conscience de la
gravité de cette maladie de l'âme.
Comme nous l'avons dit, c'est la plus
grave de toutes les maladies de l'âme : une maladie qui, selon
saint Grégoire le Grand "s'érige contre toutes les forces
de l'âme, à la façon d'une maladie
générale et pestilentielle qui corrompt
tout le corps." Tous les Pères de l'Église, ces grands
connaisseurs de l'âme humaine, considèrent l'orgueil comme
la plus grave et la plus dommageable des maladies spirituelles.
L'orgueil, aveuglant l'intelligence, est une maladie qui pervertit le
jugement et, par voie de
conséquence, cause un agir insensé. C'est une folie, et
en réalité c'est l'espèce de folie dont les effets
négatifs sur l'équilibre humain sont les plus
désastreux. Aussi, la thérapie spirituelle de l'orgueil
n'est-elle possible qu'à
partir de la prise de conscience du mal terrible qu'il fait à
notre âme.
La prise de conscience de l'orgueil qui
nous habite tous de diverses manières et à
différents degrés, doit nous amener à recourir
à Dieu, car laissés à nous-mêmes nous n'en
guéririons jamais. La source de
l'humilité se trouve en Dieu seul. L'humilité de Dieu
s'est incarnée en Jésus-Christ. Parfaite image du
Père, le Verbe incarné nous révèle à
la fois l'immensité de son amour et la profondeur infinie de son
humilité. C'est pourquoi
il nous faut demander instamment l'humilité à
Jésus, qui peut seul l'apprendre au monde ; il nous en fait
nettement l'invitation en nous disant : "Apprenez de moi à
être doux et humbles de coeur. (Matt. 11, 29)
À la prière confiante
adressée à Jésus pour lui demander son esprit
d'humilité, il nous faut joindre la réception
fréquente des sacrements de pénitence et d'eucharistie.
Le sacrement de pénitence, par
l'aveu personnel de nos fautes au ministre de Jésus-Christ,
comporte une humiliation volontaire qui attire puissamment du Coeur de
Jésus une grâce d'humilité, qui illumine la
conscience et la libère. Le sacrement du
pardon, reçu dans le cadre d'une rencontre personnelle avec
Jésus, auquel le pénitent ne craint pas de montrer toutes
les blessures de son âme peut être dit "le sacrement de
l'humilité". En s'humiliant, l'homme pécheur se met
à sa place devant Dieu ; il
rétablit l'ordre inversé par l'orgueil. D'autre part, la
sainte Eucharistie est, parmi tous les sacrements, le sacrement de
l'humilité de Dieu. Le propre de l'amour étant de
s'abaisser, Dieu ne pouvait s'abaisser davantage que dans le sacrement
par excellence de son amour infini.
Dans la sainte Eucharistie, Dieu s'anéantit pour ainsi dire pour
se donner à nous. C'est à un Dieu qui va jusqu'à
l'extrême limite de l'humilité, de la
désappropriation de lui-même, que l'âme est
appelée à communier dans la sainte
Eucharistie.
Pour que la communion de l'homme
à l'humilité de Dieu soit vraie, elle suppose en lui une
disposition d'humilité, un désaveu très net de
tout péché qui l'opposerait à Dieu, et par
conséquent la purification éventuelle
de l'âme par le recours antérieur au sacrement de
pénitence. Seule l'âme qui n'est pas dans un état
d'opposition à la volonté de Dieu peut réellement,
par la communion, entrer toujours plus profondément dans
l'humilité de Dieu et en
même temps dans son amour.
Le grand et seul véritable
maître de l'humilité étant Jésus-Christ,
c'est en se mettant à son école qu'on peut guérir
de l'orgueil. Se mettre à l'école de Jésus doux et
humble, cela signifie tenir les yeux
fixés sur lui et écouter les leçons
d'humilité qu'il nous donne depuis sa naissance dans une
étable jusqu'à sa mort sur la croix. Un remède
efficace à l'orgueil réside dans la contemplation des
mystères de la vie de Jésus, surtout
du mystère de sa Passion, où le Fils de Dieu a
été abreuvé d'humiliations par amour pour nous.
Un autre remède à
l'orgueil est de faire usage de paroles de la Sainte Écriture
pour les opposer aux impulsions de notre orgueil. Par exemple,
l'Écriture sainte affirme à plusieurs endroits que "Dieu
résiste aux orgueilleux et donne sa grâce
aux humbles". Notre-Seigneur nous dit aussi plus d'une fois :
"Quiconque s'élève sera abaissé et quiconque
s'abaisse sera élevé". Il dit encore : "Je te loue,
ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, pour avoir
caché cela (la connaissance des
vérités les plus hautes) aux sages et aux savants et pour
l'avoir révélé aux tout petits". (Mat. 11, 25)
L'Écriture contient d'innombrables exemples de personnes que
l'orgueil a perdues : Coré, Datan et Abiron, Saül,
Sennachérib, Nabuchodonosor,
Holoferne, Aman, Hérode, etc. Par contre, elle nous fournit
d'admirables exemples d'humilité : Abel, Noé et les
patriarches, Moïse, David, Isaïe, Jérémie,
Ezéchiel, le saint homme Job, Marie-Madeleine, saint Pierre, le
bon larron et par-dessus tout la
Vierge Marie.
Comme l'orgueil est l'origine de tous
les vices et de tous les désordres, c'est l'humilité qui
est le fondement de la sainteté. Personne n'a jamais pu
être dans la vérité et devenir saint sans
l'humilité. L'histoire de l'Ancien Testament et
surtout l'histoire de l'Église en témoignent. La foi en
Jésus-Christ non la foi théorique qu'ont les
démons mais la foi pratique qui fait communier à la
vie de Jésus-Christ repose sur l'humilité. Il n'est que
de faire attention à la vie des
apôtres, des martyrs et de tous les saints pour s'en convaincre.
La grandeur d'une âme et de son rayonnement est dans son
humilité, comme on le voit particulièrement dans les
Pères du désert, dans les grands fondateurs d'Ordres et
d'instituts religieux et plus
près de nous en sainte Thérèse de
l'Enfant-Jésus et saint Pio de Pietrelcina. Pour guérir
du maudit orgueil, car il mène les âmes à tous les
désordres et à leur perte, il faut considérer
souvent et admirer la beauté
supérieure de la vertu d'humilité qui brille en Notre
Seigneur Jésus-Christ et en ses saints.
Dans la lutte personnelle que nous avons
à livrer contre les différentes formes d'orgueil, il faut
nous appliquer à discerner ce qui, en chacun de nous, peut
prêter occasion à l'orgueil. Saint Jean Chrysostome, en
maître expérimenté de
la vie spirituelle énumère une foule de biens, de
fonctions et de situations qui donnent habituellement occasion à
l'orgueil. Le travail d'identification de nos faiblesses et de leurs
motivations secrètes est indispensable si l'on veut y
remédier efficacement. Dans cet
effort de discernement que nous avons à faire avec la
grâce de Dieu, l'aide d'un guide spirituel nous sera
précieuse. Le médecin des âmes est
Jésus-Christ seul, mais il se sert habi-tuellement pour les
guérir de ministres, dont le rôle est d'aider les
âmes à voir clair, à accueillir la lumière
et la force de l'Esprit saint et à se tourner résolument
vers Dieu, dans un authentique mouvement de conversion.
J.R.B.