La Jalousie
De la jalousie, nous exposerons d'abord
la nature, puis ce qui en fait une maladie spirituelle, le
caractère diabolique de cette maladie, ses effets
néfastes sur l'âme et sur le corps, et enfin ses
remèdes.
1. La nature de la jalousie
Saint Thomas d'Aquin a fait une analyse
très fine de la jalousie et de son lien existentiel avec
l'envie. L'envie est essentiellement une tristesse ; c'est la tristesse
du bien d'autrui. Le langage courant associe à ce point jalousie
et envie qu'il les confond, mais en
réalité ce sont deux sentiments distincts.
L'envie désigne le mauvais oeil
qui ne peut voir le bien d'autrui sans s'en attrister, tandis que la
jalousie est un amour passionné qui n'admet pas de partage. M.
de La Rochefoucauld, dans ses Maximes, a bien saisi la
différence entre jalousie et envie : "La
jalousie, écrit-il, tend à conserver un bien qui nous
appartient ou que nous croyons nous appartenir, au lieu que l'envie est
une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres" (Maximes,
éd. Firmin-Diderot, p. 153). La distinction de la jalousie et de
l'envie n'est pas difficile
à comprendre; dans la pratique cependant, la jalousie est
habituellement si pénétrée d'envie qu'elle en
épouse la tristesse et la fureur. Avec saint Thomas, on peut
dire plus précisément que la jalousie est une
espèce d'envie: c'est l'envie qui
naît de l'émulation et du zèle. Les autres
espèces d'envie, selon Maître Thomas, sont celle qui
naît de la crainte, celle qui naît de l'indignation, et
celle qui naît de l'orgueil. Dans l'envie, qui naît de
l'émulation ou du zèle, et qui
est à proprement parler la jalousie, la tristesse du bien
d'autrui que ressent la personne jalouse vient d'un amour si vif et si
intense qu'il ne peut tolérer rien de ce qui lui répugne
ou le contrarie.
La personne jalouse devient triste
à la pensée, qui naît du soupçon, qu'elle
n'a pas tout le coeur de son bien-aimé ou de sa
bien-aimée. Cette tristesse torture tellement l'âme que la
personne jalouse vit dans une inquiétude
perpétuelle, une méfiance qui la pousse à
surveiller la personne qu'elle dit aimer dans ses paroles, dans
ses attitudes, dans ses actes, dans ses allées et venues
essayant d'y trouver quelque justification à ses
soupçons. Elle a tôt fait de conclure dans
le sens de ses appréhensions. D'où le mensonge qui
s'insère de plus en plus dans son esprit ; et ce mensonge
consiste dans une fausse certitude qu'elle se fabrique à partir
de son imagination. Oui, mon mari me trompe, pense la femme jalouse,
parce qu'avec moi il n'a pas les
mêmes prévenances, les mêmes gentillesses qu'avec
telle ou telle autre dame. Oui, ma femme me trompe, dira un mari
jaloux, parce qu'elle aime trop le monde, elle aime trop
s'évader de la maison. Devant tel ou tel monsieur, elle semble
séduite; ses yeux deviennent brillants,
alors que depuis bien longtemps elle ne me regarde plus ainsi. C'est
certain qu'elle m'est infidèle, soupire-t-il. En
réalité, lorsqu'il y a jalousie, il ne peut pas ne pas y
avoir de la tristesse non seulement dans la personne jalouse, mais
aussi dans la personne victime de la
jalousie. La tristesse que la personne jalouse remarque, pour se
justifier, chez la personne qu'elle voudrait posséder toute
entière est un effet de sa propre jalousie. C'est ainsi que la
jalousie engendre chez les autres la tristesse dont elle se nourrit
elle-même.
2. La jalousie-vertu et la
jalousie-maladie
Nous avons vu que la tristesse est une
grave maladie de l'âme, mais cependant pas toujours. Car il peut
y avoir une bonne tristesse, celle qui s'origine dans la prise de
conscience du mal dont nous sommes responsables, et qui engendre la
contrition conduisant l'âme à la
conversion. Toute tristesse qui n'est pas orientée vers le bien
de l'âme, ou encore s'inscrirait dans la poursuite d'un bien
temporel avec des sentiments contraires à l'amour de Dieu ou du
prochain, sera toujours une maladie très nuisible à
l'âme. Il en va ainsi pour
l'envie qui naît de l'émulation ou du zèle,
c'est-à-dire la jalousie. Si une personne aime Dieu d'un amour
ardent, qui s'attriste de le voir offensé, son amour jaloux de
Dieu est vertueux. De même, si quelqu'un s'attriste de la
prospérité des
méchants, parce qu'il souffre de la haine qu'ils ont envers Dieu
et du mal qu'ils répandent dans la société, son
zèle est évidemment vertueux. Ainsi saint Thomas d'Aquin
n'hésite pas à affirmer qu'il peut exister une jalousie
vertueuse, si elle a pour
objet les biens spirituels et nous stimule à égaler et
même à surpasser en matière de perfection des
rivaux. Ce zèle peut être louable encore, dit-il,
lorsqu'il est appliqué à la poursuite de biens
terrestres, pourvu qu'il ne comporte rien de
déshonnête et ne soit pas inspiré par
l'égoïsme et l'orgueil.
La jalousie, maladie de l'âme, est
toujours inspirée par un égoïsme exclusif, qui veut
être seul à jouir d'un bien et qui ne souffre aucun
concurrent. Elle manifeste donc un amour égoïste,
passionné, radicalement ouvert à une
haine, pouvant être féroce, envers quiconque pourrait
menacer la possession du bien auquel le coeur est attaché d'une
façon désordonnée. C'est que la personne jalouse
est une personne dont l'amour pour une autre n'est nullement un amour
d'amitié qui ne peut
pas exister sans gratuité et désintéressement
mais reste au niveau d'un amour de convoitise. La jalousie,
alors, dans la mesure où aucun remède efficace ne lui est
appliqué, est en réalité ennemie de
l'amitié à la façon d'une
force aveugle qui la détruit. Elle s'oppose donc à cette
amitié surnaturelle qu'est la charité. La personne
jalouse, incapable d'aimer vraiment, est toujours inquiète,
anxieuse, au sujet de l'objet de son attachement ; son esprit est vite
envahi de soupçons, qui la
portent à de fréquents jugements téméraires
et à des accusations injustes d'infidélité. Elle
craint constamment qu'une rivale lui soit
préférée. Elle considère que l'être
qu'elle aime, ou une fonction honorable qu'elle occupe
elle-même, lui appartient, qu'elle en est la propriétaire.
Sa passion la rend ombrageuse, intransigeante et toujours prête
à se dresser contre tout ce qu'elle pense être un obstacle
à ce qu'elle estime son droit exclusif de possession. La
personne jalouse est incapable
d'être magnanime; elle est pusillanime, remarque saint Thomas,
comme les petits enfants qui n'ont pas encore appris à partager,
ou encore comme les vieillards aigris qui ne veulent pas être
supplantés par des jeunes. Son attachement
désordonné, avant d'être une
cause de souffrances pour les autres, la fait terriblement souffrir ;
il est pour elle-même la souce empoisonnée d'un profond
malheur.
On voit ainsi combien de sentiments
négatifs entrent dans la jalousie : l'inquiétude, la
crainte de perdre le bien qui veut être possédé
exclusivement, la tristesse de voir ou même d'imaginer ce bien
partagé et éventuellement
possédé par d'autres, l'orgueil, la colère, le
mensonge qui ne s'arrête pas devant de graves injustices comme la
ruine de la réputation du prochain, la haine pouvant être
mortelle. L'orgueil, en effet, est le sentiment exagéré
de sa propre excellence,
s'accompagnant d'un certain mépris à l'égard des
autres, surtout des personnes jugées comme rivales. Car s'il
arrive qu'une rivale soit préférée à la
personne jalouse, dans l'exercice d'une fonction par exemple,
l'amour-propre réagit d'une
façon très désagréable. À mesure que
la passion de jalousie s'empare de l'âme, monte en elle
l'indignation et la colère, source d'agressivité
intérieure et extérieure. Le mensonge fait partie de la
jalousie dans sa genèse et dans
son fruit. D'abord dans la genèse de la jalousie, tout est
à base de mensonge, en raison d'une fausse perception de la
réalité qui est crue par la personne jalouse comme une
vérité indiscutable. Croyant fermement au mensonge que
son imagination impose à son
intelligence, la personne jalouse peut devenir extrêmement
injuste et méchante à l'égard de personnes
faussement perçues comme infidèles ou rivales. Comme le
mensonge engendre le mensonge, que peut-il sortir de la bouche d'une
personne jalouse sinon cette forme
odieuse de mensonge qu'est la calomnie? La jalousie enfonce l'âme
dans des péchés si détestables et la plonge
finalement dans une haine si violente que les Pères de
l'Église l'ont qualifiée de vice diabolique par
excellence.
3. Le caractère diabolique de la
jalousie
Parmi les Pères, saint Cyprien,
dans son Instruction pastorale sur la jalousie et l'envie (De Zelo et
livore), a insisté particulièrement sur son
caractère diabolique, en raison de son origine, de ses effets,
du nombre et de la gravité des vices qui lui
sont affiliés.
L'origine de la jalousie, en tant
qu'elle participe à la malice de l'envie, saint Cyprien
l'établit dans les anges rebelles. Car c'est par jalousie des
dons de Dieu dans l'homme, écrit-il, que Satan a tenté et
fait tomber nos premiers parents. Le
péché a donc fait son entrée dans le monde par la
jalousie du démon. La Sainte Écriture, affirme-t-il,
manifeste en plusieurs endroits les effets désastreux de la
jalousie. C'est la jalousie qui a fait dresser Caïn contre Abel.
C'est sous l'empire de la
jalousie qu'Esaü a formé contre Jacob des projets
homicides. C'est par jalousie que Joseph a été vendu par
ses frères. C'est par jalousie que David fut
persécuté par Saül. Et n'est-ce pas la jalousie qui
a allumé dans le coeur des Juifs une haine
mortelle contre Notre-Seigneur Jésus-Christ ?
Concernant spécifiquement la
progéniture de l'envie, qui habite toujours à
différents degrés la jalousie-maladie spirituelle, saint
Cyprien écrit:
"L'envie est la racine de tous les maux
; elle est une source de désastres, une pépinière
de péchés, une matière à fautes. De
là découle la haine, de là procède
l'animosité. C'est l'envie qui enflamme la
cupidité ; cet homme ne sait plus se contenter de ce qu'il
possède parce qu'il en voit un autre plus riche que lui. C'est
l'envie qui allume l'ambition à l'aspect d'un rival plus
élevé en honneurs. C'est l'envie qui, aveuglant notre
intelligence et tenant notre âme
sous le joug, nous fait mépriser la crainte de Dieu,
négliger les enseignements du Christ et oublier le jour du
jugement. Par elle, l'orgueil s'enfle, la cruauté s'emporte, la
perfidie prévarique, l'impatience s'agite, la discorde
sévit, la colère bouillonne. Une
fois asservi à cette domination étrangère, l'homme
n'est plus capable de se contenir ni de se gouverner. On brise
dès lors le lien de la paix du Seigneur ; on viole tous les
devoirs de la charité fraternelle ; on corrompt la
vérité par un mélange
adultère ; on déchire l'unité ; on se
précipite dans l'hérésie et dans le schisme, en
décriant les prêtres, en jalousant les
évêques... ou bien en refusant d'obéir à un
chef. De là les oppositions, les révoltes :
l'envie va se transformer en orgueil ; elle fait d'un rival un pervers;
et ce que l'on poursuit dans les autres, c'est moins la personne que sa
fonction" (De Zelo et livore, VI).
De son côté, saint
Grégoire le Grand cité par saint Thomas d'Aquin
énumère ainsi les filles ou rejetons de la jalousie :
«De la jalousie naissent la haine, le murmure malveillant, le
dénigrement, la satisfaction de voir le prochain en
difficulté, et la déception de le voir prospérer
». (Moral.,31, cap. 45).
Massillon, dans un sermon
célèbre sur la jalousie, affirme que "de toutes les
passions qui les opposent à la vérité, la jalousie
est la plus dangereuse, parce qu'elle est la plus difficile à
guérir; c'est un vice qui mène à
tout, parce qu'on se le déguise à soi-même".
4. Les effets de la jalousie sur
l'âme et le corps
Les effets de la jalousie sont d'abord
d'ordre moral. Elle fait perdre à l'âme la grâce de
Dieu et la paix et la remplit d'amertume. Elle plonge l'âme dans
une profonde tristesse. Elle la replie sur elle-même et lui fait
broyer du noir. Elle la rend toute
négative. Elle nourrit en elle une colère qui la
dessèche. Elle allume au fond du coeur de bas sentiments de
rancune, de haine, de vengeance, qui ne s'assouvissent qu'en
détruisant la réputation d'autrui et parfois aboutissent
à une inimitié mortelle.
Comme toute tristesse prolongée,
la jalousie exerce aussi sur la santé corporelle une funeste
influence. Elle est certes une cause de dépression. Elle nuit au
bon fonctionnement de l'organisme, notamment des organes de la
digestion. Elle est comme un feu
intérieur qui consume l'énergie physique. Elle
flétrit la beauté du visage en lui enlevant son
rayonnement naturel et sa sérénité. Elle assombrit
les traits extérieurs. L'expérience vérifie
pleinement ce que dit l'Esprit-Saint au livre de
Job: Rien ne fait plus de tort à la santé du corps que
l'envie et la colère. (Job.5,2).
Sainte Hildegarde est convaincue de
l'action négative de la jalousie particulièrement sur le
coeur, augmentant de ce fait le risque de maladies cardio-vasculaires.
Le Dr. Gottfried Hertzka, dans son livre "Manuel de la médecine
de Sainte Hildegarde" écrit
à ce sujet : "La jalousie fait du coeur de l'homme une caverne
de voleur, et elle est donc l'un des facteurs décisifs de risque
pour le coeur et la circulation. On peut donc aussi
«blémir de jalousie» car celle-ci amène les
vaisseaux à se crisper et à provoquer une
mauvaise circulation. Hildegarde écrit que la jalousie chasse de
l'homme la dernière force de vie. Dès que la jalousie
s'allie à la haine, sa soeur cadette, elle met en mouvement
toutes les forces psychiques et séduit les masses humaines.
Comme elle dispose d'une plus
grande science que toutes les autres, la jalousie abuse de son savoir
et de la science pour faire clandestinement de grands torts aux hommes.
Qui ne pense pas là aux grands révolutionnaires qu'une
opposition provoquée par la jalousie entraîne à
mettre le monde en
pièces pour le changer. Comme l'envieux n'a que mépris
pour le bien qui est dans l'homme, il empêche le
développement personnel de ses propres semblables et fait
obstacle ainsi au bien de l'humanité. Aussi est-il combattu par
l'amour du prochain. (Manuel de la
Médecine de Sainte Hildegarde, éd. Résiac, 1988,
p. 100).
L'histoire du monde témoigne
concrètement jusqu'à quel point la jalousie a
porté atteinte au bien de l'humanité. Que de calomnies,
de rapports malicieux, d'injustes persécutions dont elle a
été la cause sans parler des oeuvres
qu'elle a entravées ou qu'elle a fait supprimer ! C'est pourquoi
elle a toujours été considérée comme un des
pires ennemis de la religion et de la société.
5. Les remèdes à la
jalousie
Voici les principaux remèdes
à la jalousie :
La charité à
l'égard du prochain
La jalousie, profondément
enracinée dans l'égoïsme, blesse premièrement
et directement la charité à l'égard du prochain.
Elle ne peut être guérie que par la renaissance de
l'âme à une authentique
charité, qui exige, comme nous l'avons dit, gratuité et
désintéressement. Ce véritable amour, qui cherche
le bien du prochain, requiert le renoncement à tout attachement
désordonné, et donc à sortir de son
égoïsme. Il demande donc de
mortifier en soi la volonté de posséder une autre
personne, qui n'est plus traitée comme un sujet libre mais comme
un objet qu'on utilise selon son intérêt. Ce principe de
détachement affectif qui, seul, permet le respect de la
liberté d'autrui, doit
être appliqué au vaste domaine des relations
interpersonnelles, c'est-à-dire dans les relations conjugales et
familiales, les relations amicales, les relations de travail. Les
personnes qui souffrent de cette douloureuse maladie qu'est la
jalousie, doivent apprendre avant tout à
aimer; à aimer vraiment, sans mesquinerie, mais d'une
façon magnanime, avec un grand coeur, qui, au lieu de
s'attrister, se réjouit du bonheur et des avantages du prochain,
fût-il perçu d'abord comme un rival. Cette vraie
charité est la voie nécessaire de la
sanctification. Comment peut-on se sanctifier si l'on garde dans son
coeur des sentiments de jalousie, si contraires à la
charité évangélique ?
Mais comment pratiquer une telle
charité qui réclame l'oubli de soi pouvant aller
jusqu'à un effacement très délicat, dans un monde
où la première valeur est l'affirmation de soi, l'autre
dût-il en être écrasé ? Ce
n'est pas possible sans une foi vécue en Jésus-Christ,
l'Amour infini incarné et source vive de tout véritable
amour. C'est seulement dans son Coeur que les hommes peuvent puiser
l'authentique charité, qui tue en eux-mêmes
l'égoïsme et fait vivre le
prochain. Ce qui signifie que sans une union intime avec
Jésus-Christ, dans une prière confiante et la
réception fréquente des sacrements, le mal de la jalousie
ne pourra jamais être pleinement vaincu.
L'humilité
Une âme vraiment humble ne saurait
être jalouse. C'est l'orgueil qui lui fait concevoir le
désir d'être préférée aux autres, ou
encore d'obtenir le premier rang dans l'estime de quelqu'un en
repoussant toute personne rivale. C'est l'orgueil
qui lui inspire la crainte lancinante d'être rejetée ou de
perdre certains avantages qu'elle possédait ou s'estimait en
droit de posséder, à l'exclusion des autres. Entre le
manque d'estime de soi, qui caractérise les pusillanimes et les
déprime, et cette
estime exagérée de soi-même qu'est l'orgueil, il y
a place pour une juste estime de soi-même, fondée avant
tout sur la certitude d'être aimé de Dieu et sur la
confiance en son aimable Providence. La soumission habituelle de
l'âme à ce que Dieu veut
ou permet, qui s'épanouit dans l'abandon de toute sa vie
à la Providence, requiert une profonde humilité, antidote
aux prétentions égoïstes de la jalousie. Comment
acquérir cette vertu de l'humilité contredite par les
tendances de notre pauvre nature
blessée par le péché originel ? Encore là,
la réponse est dans une sincère conversion à
Jésus-Christ, à son divin Coeur doux et humble.
Cultiver la joie
Bien pire que l'ennui de
l'acédie, la jalousie est une tristesse déprimante. Cette
tristesse qui torture l'âme ne lui laisse aucun repos, aussi
longtemps qu'elle n'accepte pas de faire son deuil de l'objet de son
attachement désordonné, que ce soit une
personne, un poste honorable ou des biens matériels. Comme
l'âme peut renaître à une authentique
charité, elle peut aussi recouvrer la joie spirituelle, ou en
faire la découverte émerveillée si elle n'y a
jamais goûté. La joie du coeur
diffère essentiellement du plaisir incapable de rassasier sa
soif de bonheur. La joie du coeur vient de l'expérience de Dieu,
qui plonge l'âme dans son infinie douceur. La jalousie est source
de tristesse parce qu'en allumant dans l'âme une soif ardente des
plaisirs de la terre
soif frustrée inévitablement un jour ou l'autre
elle la détourne de Dieu et de ses incroyables dons. Pour
guérir de la jalousie, il faut arriver, avec la grâce de
Dieu, à détacher son coeur des créatures pour
l'attacher par-dessus tout à la
bonté et à la beauté du Créateur. Si
l'âme est ainsi attachée à Dieu, source du plus pur
bonheur, elle sera contente de Dieu en tout ce qu'Il fait et en tous
les événements qu'Il permet. Elle sera habituellement
dans la joie, de sorte qu'il n'y
aura plus de place en elle pour l'affreuse tristesse de la jalousie,
d'autant plus qu'elle sera pleine de reconnaissance pour les dons
reçus de Dieu et ceux qu'il répand abondamment sur autrui.
Au plan de la vie naturelle, pour
vaincre la tristesse de la jalousie, saint Thomas d'Aquin, en bon
psychologue, conseille de faire diversion, de se procurer quelque
honnête distraction qui aide l'âme à sortir du
marasme où la jette cette noire passion (S.
Théol. IIa IIae q.38).
L'honnêteté et la
vérité
La jalousie se fonde sur les mensonges
qu'on se dit d'abord à soi-même et elle s'en nourrit. Si
d'autres personnes entrent dans ces mensonges par vaine complaisance,
elle s'en trouve d'autant plus fortifiée. La raison pour
laquelle cette passion est si difficile
à déraciner du coeur, c'est qu'elle s'y attache fermement
par un tissu de mensonges, crus comme des vérités
absolues. Pour en guérir, il faut accepter de poser un regard
vraiment honnête sur soi-même et sur les autres ; il faut
accepter de mettre en question
ses impressions et ses fausses certitudes. Ne rien croire de ce que
représente l'imagination à l'intelligence, à moins
d'en avoir été témoin oculaire d'une façon
ne laissant place à aucun doute sur les faits et les intentions.
Les faits eux-mêmes
peuvent être mal perçus ou mal interprétés ;
pour les saisir dans leur vérité objective, le coeur doit
être libéré de tout préjugé et de
tout sentiment négatif de méfiance, de crainte
exagérée et de
rancune. Cette pureté de coeur requiert une vigilance
continuelle sur ses sentiments et ses pensées. La jalousie ne
peut être surmontée que par l'âme qui se met
à chercher intensément la vérité, toujours
prête à renoncer à ses
plus subtiles contrefaçons. Sans l'aide du Seigneur
Jésus, qui a dit : " Je suis la vérité" et encore
"la vérité (que j'apporte au monde) vous rendra libres",
sans le secours de ce divin Sauveur, on ne peut voir comment une
âme jalouse peut sortir du mensonge
dans lequel sa passion l'enferme comme dans une prison.
La réflexion et le
discernement des esprits
La jalousie est en réalité
une réaction insensée, par laquelle on se rend
inutilement malheureux, avant de rendre les autres malheureux. La
personne jalouse est la première victime de sa propre malice. En
prenant, par la réflexion et la
prière, une attitude intérieure diamétralement
opposée aux sentiments de jalousie qui enlèvent la paix,
on arrive à les vaincre de plus en plus facilement,
c'est-à-dire à se conduire non plus d'une façon
insensée mais d'une façon
raisonnable, et non plus avec un égoïsme anxieux mais avec
une authentique charité.
La mise en pratique des règles
fondamentales du discernement des esprits, déjà bien
connues dans l'Antiquité chrétienne et clairement
exposées par saint Ignace de Loyola dans ses Exercices
spirituels, sera d'un précieux secours pour vaincre
tout sentiment de jalousie. Selon ces règles, nous devrions nous
interdire toute comparaison avec le prochain, engendrant dans
l'âme de la tristesse et de l'amertume. À ce sujet, le
Père I. Hausherr, S.J., écrit:
Bienheureuses les âmes qui savent
discerner en elles-mêmes les mouvements des esprits et se juger
à la lumière de Dieu.
Est-ce que nos souffrances ne viennent
pas trop souvent de ce que nous nous comparons aux autres ? Nous
apercevons chez les autres des biens que nous ne possédons pas,
par exemple le succès: «Moi, je ne réussis à
rien». Dans un milieu fervent, on constatera
avec chagrin que «les autres progressent à grands pas,
tandis que moi, je piétine sur place».
Comment éviter ces constats
décourageants, si d'une part je dois m'estimer«la balayure
de tous», et d'autre part tendre obstinément à la
perfection?
Le remède aux comparaisons
jalouses, c'est d'oublier que notre prochain, c'est
«l'autre». Aristote avait raison : c'est un autre
moi-même, puisque le Seigneur me dit que je dois l'aimer comme
moi-même». (in Prière de vie, Paris 1965, p.449)
La méditation de la parole
de Dieu
La Sainte Écriture nous livre les
remèdes donnés par Dieu pour guérir les maladies
de l'âme. Ce qu'elle nous dit de la jalousie et des vices qui lui
sont associés, de leurs effets désastreux sur les
personnes et la société, est
une médecine très efficace pour en guérir. Cette
médecine d'origine divine devrait d'abord retenir notre
attention.
La fréquentation des
Maîtres spirituels
Les grands Maîtres spirituels sont
comme des médecins instruits aux écoles divines pour
guérir les maladies de l'âme. C'est ainsi que chez les
Pères et les Docteurs de l'Église, on peut trouver des
prescriptions médicales
précises et efficaces pour guérir la maladie de la
jalousie. Saint Cyprien, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint
Grégoire le Grand et saint Thomas d'Aquin en ont traité
d'une façon très explicite et leurs conclusions demeurent
toujours valables.
J.R.B.